Monuments et sujets remarqués par « La Costelle »

Les Murs de Mémoire

Quel chemin pour y aller ?


Autour des parcelles en terrasses, les Murs de Mémoire.

Les prés et chemins d'accès en terrasses qui occupent une partie du versant ensoleillé des Ébéteux et des Poncez, au dessus de Scarupt, sont entourés de murs de pierres séches de granite dont certains peuvent être qualifiés de cyclopéens, soit par leur taille qui atteint par endroits quatre mètres de large et deux mètres cinquante de haut, soit par les blocs qui les composent dont les dimensions de l'ordre du mètre leur confèrent un poids se mesurant en tonnes. Tous, comme on l'a dit, sont formés d'un appareillage de pierres sèches qui, tout en suivant les ondulations du terrain, sont très proprement dressés, et encore en bon état malgré un âge manifestement élevé.

L'établissement public du Parc Naturel Régional des Ballons des Vosges leur a attribué le beau nom de « Murs de Mémoire » que nous avons repris ici.

Qui les a élevés, quand, pourquoi, mais aussi comment et où les admirer, sont des questions qui passionnent l'amateur de patrimoine et auxquelles notre sympathique ami Jacky Brultey a cherché les réponses.

C'est à leur découverte que nous vous convions.

Histoire

À l'issue du moyen-âge, le Ban de Fraize était propriété du Chapitre de St-Dié et des familles Ribeaupierre (Alsace) et Bayer de Boppart (Lorraine) qui en étaient, en ces anciens temps, co-seigneurs. Les représentants des Ribeaupierre résidaient à Fraize dans la maison dite « Ribeaupierre » ou aux faux au « Château de Pierosel » (appelé maintenant « Château Sauvage »), ceux des Bayer de Boppart à Taintrux. Sont-ils à l'origine de l'érection des Murs de Mémoire, pour rendre exploitables et donc pouvoir ascenser plus de terrains ? C'est possible, mais un tel travail s'est sans aucun doute étalé sur des centaines d'années. Quoi qu'il en soit, il est l'œuvre des habitants du lieu.

Notre célèbre historien, Victor Lalevée, mentionne ces murs dans son ouvrage « Au Pays des Marcaires » (page 33 de l'édition 1950 chez René Fleurent à Fraize). Parlant des temps (XV et XVIe siècles particulièrement) où se mettaient en place les notions de propriété, location, fermage, amodiation et ascensement, il écrit :

« Les terres concédées par le seigneur n'avaient reçu aucune culture. Elles étaient le plus souvent couvertes de ronces, de buissons, de bosquets d'arbres, encombrées de pierres roulantes, parfois de têtes de roches faisant saillie à la surface du sol. Aussi le premier soin du censitaire était-il de les défricher, de les essarter comme on disait alors, pour les transformer en prairies ou en meix. La tâche était rude. Il fallait d'abord couper les arbres, nettoyer tout le couvert végétal.

Le bois coupé, les souches arrachées, on s'attaque aux rochers qu'il faut extraire, débiter en morceaux tels qu'on puisse les transporter. Ce n'est pas une mince besogne ! Avec les pierres, dont on débarrasse le terrain, on fera le long des limites de la concession des murettes qui lui servent encore aujourd'hui de clôture. Ces murs de pierres sèches sont généralement édifiés avec le plus grand soin. Il en est de plusieurs mètres d'épaisseur comportant des niches destinées à servir d'abri aux travailleurs en cas de mauvais temps. »

On distingue aisément trois fonctions à ces murs :


La réalisation

Aux anciens temps, seules des corvées nombreuses et fréquentes ont pu venir à bout du principal travail d'essartage, d'épierrage et de tracé des chemins. Puis, années après années, les murs se sont élevés. Comment les terrasses se sont-elles remplies ?

On peut imaginer qu'au bas de chaque parcelle, on a construit le mur de soutènement, de un à deux mètres de haut, dans une tranchée de fondation dont la profondeur était plus ou moins moitié de la hauteur finale voulue. Puis, d'abord sans doute transportée à la main puis, au fur et à mesure des labourages, glissant du haut de la parcelle la terre s'est progressivement accumulée contre le mur du bas, dégageant la base du mur du haut.

Quel formidable travail !

Tout se faisait à la main, avec le peu d'outils disponibles : Leviers, marteaux, burins, brouettes et chariots attelés. Pour les murs de soutènement, on s'est largement aidé de la force de pesanteur, et autant que possible, on a fait glisser et rouler les blocs vers le bas. La taille des parements et la mise en place finale des blocs sur le mur en cours d'érection n'était sans doute pas une mince affaire. On y prit toutefois beaucoup de soin, et il suffit pour s'en assurer de regarder ces murs qui, bien qu'ayant des centaines d'années, se dressent toujours aussi fièrement, sans avoir beaucoup souffert du poids considérable de la terrasse qu'ils soutiennent.

Tant que les parcelles ont été labourées et entretenues, les nouveaux blocs de pierre qui ont surgi ont été ramassés, et proprement empilés sur les murs de regroupement. De plus, les défrichements ont continué, et en 1864, par exemple, un monsieur Antoine Blaise dit Briquet de Scarupt, a reçu un prix de défrichement (médaille d'argent) décerné par un Comice Agricole de l'Arrondissement de Saint-Dié.

Peu après la guerre de 1914-18, des explosifs, récupérés sur le champ de bataille vers les cols des Journaux et de la Séboue, étaient utilisés pour réduire des grosses roches qui émergeaient au sein de certaines parcelles, à proximité du site qui nous occupe.


Aujourd'hui

Vue du site, avec les maisons anciennement Stoosz (gauche) et Colin (droite).

À Fraize, on ne trouve ces murs qu'au dessus très pentu de Scarupt, essentiellement aux Ébéteux et aux Ponsez, adossés à la croupe des « Champs de France » qui culmine à 985 mètres. On rencontre de tels murs et empilements partout où l'homme a entrepris d'exploiter des terres pentues et caillouteuses. On peut donc en découvrir dans de multiples localités, le Rudlin et Xonrupt cite Victor Lalevée, mais aussi sur les hauts de Clefcy, et encore dans d'autres régions de France, comme en Ardèche particulièrement. Il ne s'agit donc pas d'une spécialité purement locale aux Ponsez, loin de là, mais leur concentration, la qualité de réalisation et le site en font tout l'intérêt.

Pour l'essentiel, ils sont encore en bon état, mais pour combien de temps ? S'ils sont en bordure des chemins communaux, leur débroussaillage et fauchage sont assurés par les agents municipaux et des bonnes volontés locales se chargent plus ou moins des sentiers. S'ils sont ailleurs, leur entretien appartient à leurs propriétaires... On a pu observer récemment, ici ou là, que des pierres avaient disparu au dessus de tel ou tel mur, sans doute pour être réutilisées ailleurs. Il est à espérer que ces pillages n'ont plus cours.

Des blocs de granite cyclopéens (3).
Des blocs de granite cyclopéens.

On rencontre une grande diversité des pierres qui vont des plus petites de quelques centaines de grammes aux plus grosses pouvant atteindre de une à plusieurs tonnes. Les plus petites assurent le remplissage et le jointoiements des grosses. On peine à imaginer le travail que ce fut de déplacer les gros blocs en les faisant rouler et glisser vers le mur du bas sans doute, et de parvenir à les mettre en place !


Qualité de l'assemblage des blocs de granite.
Qualité de l'assemblage des blocs de granite.

La remarquable qualité de l'appareillage mêle, comme on l'a vu, des blocs de granite de diverses tailles, et présente des parements relativement plats. L'ensemble est d'une assez grande cohérence générale, mais on décèle aisément, à l'arrangement des blocs qu'il y a eu des maîtres d'œuvre différents.


Des murs de regroupement dimensions impressionnantes, jusqu'à 4 x 2,5 mètres ! (2) (6).
Des murs de regroupement de dimensions impressionnantes, jusqu'à 4 x 2,5 mètres !

Ces murs ont principalement pour utilité le balisage des terrains. Certains soutiennent le bas des terrains en terrasses et des chemins. Ils sont donc orientés plus ou moins perpendiculairement à la pente et mesurent jusqu'à un mètre d'épaisseur, et de un à deux mètres cinquante de haut. D'autres, orientés parallèlement à la pente, marquaient la séparation de parcelles, et leurs dimensions imposantes (jusqu'à quatre mètres de large, et deux mètres cinquante de haut) sont dues à l'accumulation progressive de toute la pierraille ramassée dans les parcelles, au fur et à mesure que les hivers la faisait (et fait encore) surgir de terre. Leurs parements sont moins soignés que ceux des murs qui bordent les chemins.


Le travail de taille de gros blocs de granite (5).
Le travail de taille de gros blocs de granite (5).

Un travail de taille est évident sur certains blocs, non des moindres, qui avaient pour but de marquer et consolider les interruptions des murs à l'occasion d'entrées - sorties dans les parcelles encloses. Tous les blocs de pierre utilisés pour les parements ont aussi été peu ou prou taillés, car les glaciers tertiaires, avant de les abandonner, les avait plutôt arrondis.


Niche intégrée dans un mur.
Niche intégrée dans le mur sous le groupe épicéa-frêne(1).

Quelques niches, par exemple : (1) assez profondes et hautes, ont été aménagées dans les murs lors de leur construction. Elles ont probablement servi d'abris aux pâtres et ouvriers agricoles en cas d'intempéries. Tournées vers l'intérieur des parcelles, elles ne concernaient pas les usagers des chemins.


Escalier d'accès (4).
Escalier d'accès avec des marches en encorbellement dans le mur sous le groupe épicéa-frêne (1).

On note aussi, la présence d'escaliers, avec des volées de marches étroites et réservées dans l'épaisseur des murs, ou parfois en encorbellement ((1)), vertigineuses, formées de longues pierres dont une extrémité est noyée dans le mur. Ils évitaient, aux paysans de l'époque, des détours importants pour entrer ou sortir des parcelles.


Les nivéoles à la fonte des neiges, près du ruisseau
Un beau pied de nivéoles.

Au bas du site, près du ruisseau (le Scarupt) lors de la fonte des neiges, éclosent les nivéoles (Leucojum vernum), qui sont assez rares et ne poussent que dans le nord-est de la France.. Les belles clochettes blanches sont portées par une haute tige, entourées de feuilles fuselées à la manière des jonquilles. Bien que fleurissant à la même période, et appartenant à la même famille des amaryllidacées, les nivéoles sont bien plus grosses que les perce-neige avec lesquelles il ne peut y avoir confusion.

Ne cueillez pas les nivéoles, elles sont protégées !


La visite

Le site se trouve sur la carte dite « d'état-major » au 1:25000 (référence IGN 3617 ET), en bas à gauche, entre les repères F1 et F2 (Long. 07°02'40", Lat. 48°11'04").

Il se visite en parcourant les chemins et sentiers des lieux-dits « la Séboue », « les Ébéteux » et surtout « les Ponsez ».

Recto du panneau explicatif principal au col de la Séboue.
Verso du panneau explicatif principal au col de la Séboue.

Implanté récemment au col de la Séboue, le nouveau panneau explicatif a été réalisé et financé par La Costelle. Il a été mis en place par les bénévoles de La Costelle et du Club Vosgienet il décrit les principales particularités du site.


Le circuit au départ du Col de la Séboue fléché de croix jaunes.

Le circuit au départ du Col de la Séboue fléché de croix jaunes.

Il existe un circuit d'un peu moins de six kilomètres, fléché et noté La Costelle (attention : le fléchage impose de suivre le circuit dans le sens inverse des aiguilles d'une montre), qui prend son départ au Col de la Séboue. Il est décrit sous le numéro 7 dans la plaquette « Balades au Pays de la Haute-Meurthe », disponible à l'Office du Tourisme de Fraize. Ce circuit très agréable au demeurant, ne couvre qu'en partie le site des Murs de Mémoire.
Attention : La carte donnée page 9 dans « Balades au Pays de la Haute-Meurthe » est erronée dans la partie qui descend au dessus des Ébéteux vers les Ponsez. À proximité du point de cote 685, au lieu dit « la Folie », on ne doit pas partir vers la droite sur la route des Ponsez, mais on doit emprunter un chemin en contrebas de celle ci. Utilisez de préférence la carte ci-contre.


Le circuit réduit, non balisé.

Le circuit réduit, non balisé.

On peut aussi, de façon plus informelle (promenade non balisée), accéder au site par la route des Ponsez, venant de Scarupt. Immédiatement après le virage en fer à cheval à gauche où un petit pont enjambe le ruisseau, on prend la première route qui se présente à gauche, on passe entre deux bâtisses qui semblent désaffectées et on peut alors se garer sur la droite. Naturellement, on fait en sorte de ne pas encombrer le passage ni gêner les habitants et autres usagers. On est là à l'extrémité sud-est du site, et on continue à pied. Juste avant la première maison rencontrée, ancienne maison Colin, un chemin arrive en biais sur la droite par lequel on terminera notre boucle. Juste à droite, avant la seconde maison (toutes deux sont habitées et à respecter), ancienne maison Stoosz, un très large mur (2) qui a jusqu'à quatre mètres de large et deux mètres cinquante de haut, prend naissance. Il grimpe jusqu'au chemin que l'on prendra au retour. Un second, semblable, se découvre un peu plus loin, mais auparavant, on aura admiré les blocs énormes (3) qui font partie du mur de soutènement qui longe la droite de notre chemin. On laisse une ruine dans laquelle poussent, en contre-bas, de grands frênes et érables. On ne prend pas le chemin qui descend vers la route des Ébéteux. On continue sur environ deux cents mètres de chemin agréable, on passe devant le panneau explicatif (0), et on tombe, après encore deux cents mètres de cheminement, au lieu-dit « la Folie », sur une route goudronnée qui repart vers la droite. Au bout de deux cent cinquante mètres de cette route, agréablement ombrée de frênes, d'érables et de noisetiers principalement et qui se dirige vers le fond de la vallée, on passe une coquette maison en contrebas, et on s'arrête un peu plus loin, après encore trois cents mètres, on repère en face de soi un groupe d'arbres dont un épicéa suivi d'un frêne (1) qui poussent sur la droite de la route.

Niche et escalier vus du pré en contrebas de la route. Notez le pied du frêne à droite.
Le groupe épicéa-frêne repère (1).

Le frêne porte sur son tronc une plaque explicative. Un escalier remarquable, dont les marches sont en encorbellement, permet de descendre dans le pré en contrebas. Quand on s'y trouve, on découvre, face au mur et un peu sur la gauche de l'escalier, malheureusement derrière des genêts de plus en plus touffus, une belle niche. La découverte de l'escalier se mérite, car sa première marche, presque au pied à droite du frêne, est souvent bien cachée par les herbes folles du bord de la route. Attention aux risques de chute ! Deux cents mètres plus loin sur la même route des Ponsez, (qui, continuée, rejoint le grand virage en fer à cheval), on emprunte un chemin herbeux et fort ombragé qui descend sur la droite (et qui fait partie de la piste balisée pour VTT). On y voit sur la gauche, dans le mur de soutènement, des blocs cubiques bien taillés, (5), marquant l'entrée de la parcelle, et plus loin encore un escalier montant vers une autre (4). Sur la droite, on domine l'amorce de deux énormes murs, dont on a vu le bas à droite du chemin emprunté au début de la promenade. Hélas, de plus en plus noyés dans la végétation (frênes, ronces et fougères), il faut être attentifs pour ne pas les manquer. L'agréable chemin se termine au coin de la première des deux maisons dont on a déjà parlé et, reprenant la route sur la gauche, on regagne son point de départ.


Le circuit non balisé, au plus court.

Le circuit non balisé, au plus court.

Nota : On peut raccourcir le parcours et éviter de passer à « la Folie ». Pour cela, il convient d'être bien chaussé. Alors, peu après la ruine, au lieu de continuer le chemin et de passer devant le panneau explicatif (0), on tourne carrément à droite, et on monte en marchant sur le haut d'un mur très large (6) qui descend jusque là. Il n'est pas du tout vertigineux en raison même de sa largeur. Quand ce mur se termine, on continue à grimper droit sur le bord de la fourrière à laquelle on est arrivé, et on débouche sur la route goudronnée des Ponsez, juste au point de départ à droite du chemin herbeux. Il faut alors prendre un moment cette route vers la gauche jusqu'au groupe épicéa-frêne (1) décrit plus haut pour rencontrer l'escalier et la niche (voir plus haut).


La sauvegarde du site

Depuis que ces parcelles ne sont plus labourées et sont utilisées comme parcs pour l'élevage du bétail, voire abandonnées, les friches de fougères, ronces et genêts gagnent sur les prés. Des arbustes, frênes, noisetiers et érables s'enracinent, d'abord en bordure des murs, puis au milieu des parcelles abandonnées, et d'année en année gagnent en hauteur et diamètre. Les racines de ceux qui bordent les murs s'y insèrent et ne tarderont pas à les disloquer, comme ils viennent à bout de toutes les constructions humaines, en quelques dizaines d'années.

Alors la sauvegarde ? Elle s'impose.

Quoi faire ? Faucher et essarter régulièrement les parcelles. C'est du travail, mais assez aisé tant qu'on n'a affaire qu'à des broussailles et des arbrisseaux. Mais quand la forêt aura repris ses droits, ce sera une autre paire de manches !

On a dit que les chemin communaux étaient régulièrement entretenus, mais que faire pour l'essentiel du site qui est privé, et de plus laissé à l'abandon ? À l'évidence, encore plus qu'au fond de la vallée, l'exploitation des parcelles agricoles des « hauts » cesse faute d'agriculteurs. Elle est aussi victime d'une mécanisation qui lui est totalement inadaptée.

Alors la sauvegarde ? Qui va s'y coller ?


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© La Costelle. Dernière mise à jour le 19/07/2023 à 16:40 
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