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Liberté et Tilleul

Depuis le fond des âges dans notre vieille Europe, le tilleul a un côté magique. C'est vrai aussi pour le chêne, pour l'olivier chez les Grecs et j'en passe, mais le tilleul semble faire des Humains des êtres jaloux, lesquels envient sa longévité. C'est vrai que le tilleul de Gérardmer âgé de 400 ans, vieillard encore bien vert lorsque revient le printemps, laisse à réfléchir ceux qui courent en vain vers l'Eternité. Mais, me direz-vous, la longévité du chêne est sans commune mesure. Alors, il y a quelque chose de plus qui fait que le tilleul a ce côté sacré qu'il tend à revendiquer au chêne. Soit ! Laissons là cette rivalité...

Tilleul planté en 1848.

Le tilleul dont les feuilles et l'arbre lui-même évoquent un cœur a longtemps été l'Arbre de Mai. En 1789, il est officiellement choisi pour commémorer la Révolution. Il s'en plante dans toute la France et même si l'Empire n'ose pas trop les éliminer, certains contre-révolutionnaires ne s'en privent pas et la Restauration achève leur arrachage. Lorsque arrive la Révolution de 1848, le même cérémonial se reproduit et Fraize n'échappe pas à cette manifestation. A ce que nous raconte Joseph Haxaire dans ses chroniques, c'est le 16 avril que la cérémonie eut lieu. « Dans notre village, écrit-il, on s'était montré si paisible et si peu disposé pour les éclatantes sympathies de la jeune république que je me demandai avec étonnement quel vent avait soufflé dans notre vallée pour avoir si subitement changé ? ». Il faut dire qu'en février sur la place du marché (carrefour Costelle - rue de Lattre de Tassigny), une tentative non officielle a abouti à l'arrachement de l'arbre. Entre les dates relevées chez J.B. Haxaire auxquelles Victor Lalevée fait référence, on s'embrouille un peu mais il semble que cette date du 16 avril 1848 est la bonne, même si le même J.B. Haxaire déclare : « Le 8 mars 1848, à 3 heures de l'après-midi, bénédiction de l'arbre de la Liberté planté sur la place du Marché. Les gardes nationaux sont allés à l'église chercher Mr le Curé Miche pour le bénir. Après la bénédiction, Mr le curé a fait un discours, Eugène Mengin, qui était maire, a aussi parlé. Les gardes nationaux, ensuite, ont tiré plusieurs décharges ». Il se trouve que le 8 mars 1848 est un jeudi ; les Fraxiniens sont à leurs travaux... et Mengin n'est maire de Fraize que depuis le 12 avril. Enfin, le 16 avril tombe un dimanche, jour de repos. Jean-Baptiste Haxaire doit sûrement se tromper. ... Soit ! Cela ne change rien.

Tilleul de l'école Chassard et Faivre - 1918

Notre tilleul a donc 160 ans. Il est bien fatigué. Peut-être le macadam qui l'emprisonne est-il le responsable de son état ? Il est un témoignage de l'Histoire, de notre Histoire. Joseph Valentin fait remarquer plus tard : « Or quand il fut question de planter un arbre dans l'excavation où l'on avait, parait-il, coulé une cloche, sur la place de l'église, le curé de l'époque et le conseil de fabrique furent d'avis d'y planter un frêne, pour rappeler le nom d'origine de l'Oratoire primitif. On y planta le tilleul actuel, jugé sans doute plus laïque, et sur lequel les écoliers de ma génération grimpaient pour se délasser de leurs études ». On retrouve là son intrépidité d'enfance et la certitude que l'arbre devant l'église est bien celui de 1848. Ce n'est pas sans importance car, partout, ou presque, les arbres furent arrachés à l'avènement du Second Empire en 1851 et notre tilleul a donc échappé à cette exécution.

Tilleul du Bicentenaire Prairie des Faulx - 1989

Il n'est pas le seul symbole de la Liberté à Fraize. En 1918, Mr Jules Jacquot, instituteur, assisté de deux de ses élèves, Albert et Maurice Flayeux, plante un autre tilleul dans la cour de l'école de garçons (Chassard et Faivre). L'arbre est toujours là. Il porte allègrement ses 90 ans, qui, vous le savez maintenant, lui laissent des airs de jeunesse. Evidemment, il ne symbolise pas le retour de la République mais marque la fin de la 1ère Guerre Mondiale, l'occupation d'une partie de la France par l'armée allemande et le retour au bercail de l'Alsace-Lorraine. C'est un arbre qui, comme le précédent, est un arbre de joie mais il ne cache pas le souvenir des combattants disparus.

Enfin, en 1989, on renouvela ce geste symbolique au Collège de la Haute Meurthe où fut planté un chêne qui aujourd'hui a encore des allures d'enfant puis à la Prairie des Faulx avec un tilleul en présence du maire fraîchement élu : Claude Jacquot, notre nouveau Président de la Costelle. Ces deux cérémonies se firent en présence des « Citoyens en Solé de Bo », acteurs costumés du Collège qui marquèrent ce 2ème centenaire de la Révolution Française par un spectacle et qui firent revivre les élans révolutionnaires de nos ancêtres.

Retenez pour finir qu'il y a donc trois tilleuls « sacrés » à Fraize. Allez leur rendre visite, en couple de préférence, car comme le dit le bon La Fontaine : « Pour peu que les époux séjournent sous leur ombre, ils s'aiment jusqu'au bout malgré l'effort des ans ». (Philémon et Baucis)

Ces trois tilleuls... Un vrai bonheur !

François Maubré, « La Costelle », 2003.

Association « La Costelle », le 20/06/2003 (publié dans le bulletin municipal n°24, Fraize 2008).

© La Costelle. Dernière mise à jour le 17/02/2020 à 20:38 
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