Trésors remarqués par « La Costelle »
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Le Tacot de la guerre 1914-18, au départ de la gare de Fraize

La guerre moderne ne fait pas qu'opposer des hommes à d'autres qui portent un uniforme différent. Elle est aussi extrêmement destructrice et nécessite donc d'alimenter le front en permanence en hommes, nourriture et boissons, munitions d'infanterie et d'artillerie et équipements divers. Quand de plus on parle du front des Hautes-Vosges, on doit noter que si les français occupent les positions dominantes, conquises dès fin 1914, sur le territoire allemand au sud du Col du Bonhomme, ils sont très loin de leurs bases. La stabilisation de ce front et son renforcement requit d'énormes quantités de matériaux de construction (ciment, bois, fils de fer barbelés...) qu'il fallut produire sur place (bois) ou transporter sur de grandes distances, parfois à plus de 15 km.

Au début, pendant la guerre de mouvements, les transports étaient assurés par des hommes, des chevaux et des mulets (il y avait des compagnies muletières). Ils étaient lents, portaient peu, mais ils pouvaient passer par les chemins existants, étroits et tortueux. Toutefois, durant l'hiver 1914, extrêmement rigoureux, les cheminements étaient considérablement perturbés voire rendus impraticables par la neige et les intempéries. Le front s'enracinant rapidement à proximité des crêtes, le Détachement d'Armée des Vosges, commandé par le Général Dubail, procéda, dès le second trimestre 1915 et à grands coups de prodiges techniques et humains à la création et à l'amélioration des chemins et au développement de moyens de communications efficaces : routes (dont la fameuse Route des Crêtes) et création de voies ferrées étroites et de téléphériques.

Le chemin de fer à voie étroite du tacot

À partir du second semestre 1915, après déjà une année de guerre meurtrière, on procéda à la création de voies ferrées étroites pour prolonger le réseau ferré des Chemins de Fer de l'Est qui aboutissait depuis 1876 à la gare de Fraize.

Ces voies furent construites par des détachements de plusieurs centaines d'hommes de Régiments spécialisés (Génie), de régiments Territoriaux et aussi fournis par les unités combattantes situées le long du front. Elles étaient à voie étroite (60 cm d'écartement), ce qui permettait la pose des tronçons de voies préfabriqués (suffisamment courts et légers) par des équipes de 4 hommes. Elles acceptaient des virages serrés avec des rayons de 20 mètres et réclamaient donc moins d'ouvrages d'art. Elles furent simultanément complétées par un funiculaire et des téléphériques.

« Pour transporter plus facilement et plus rapidement les troupes, les pièces d’artillerie, le ravitaillement, les munitions et le lourd matériel, on a établi à grands frais un chemin de fer à voie étroite, qui part de la gare de Fraize, passe à Plainfaing, suit la vallée de Habeaurupt jusqu’au Rudlin et au Valtin. » (Vicor Lalevée, « Au Pays des Marcaires », p. 190).

Décision prise, les fournitures nécessaires ont fait l'objet d'appels d'offres lancés vers les industriels, mais de nombreux fournisseurs potentiels étaient étrangers et notamment allemands ! Les matériels roulants et d'infrastructure durent donc pour beaucoup être réquisitionnés sur des installations préexistantes en France : mines, carrières, montagne...

On pouvait rencontrer sur ces voies des locomotives de types divers principalement Decauville et Péchot avec des wagons Péchot, Decauville et Pershing. Les locomotives les plus utilisées ont été les Péchot, mais du fait de la construction de bon nombre d'entre elles aux USA et en Angleterre où les systèmes de mesures étaient différents, les cotes des pièces variaient selon l'origine et leur maintenance était de ce fait compliquée..


Locomotive Péchot-Bourdon, la plus commune.
Locomotive Baldwin saddle tank, l’autre motrice rencontrée le plus fréquemment sur le réseau au départ de la gare de Fraize, plus puissante et donc plus adaptée aux charges lourdes en montagne (ici à l'arrêt au Col du Bonhomme).

Sans oublier la « pétrolette » surtout utilisée pour les déplacements des officiers lors des tournées d’inspection, mais aussi pour les liaisons rapides répondant à des nécessités de service (ici au Rudlin).

Le réseau au départ de la Gare de Fraize

Depuis décembre 1876, une voie à écartement normal (1,435m) venant de Saint-Dié, desservait la gare de Fraize. Elle était de tout premier intérêt stratégique pour l'armée. De là, pour transporter plus facilement et plus rapidement les troupes, les pièces d'artillerie, le ravitaillement, les munitions et le lourd matériel nécessaire, on établit dès 1915, un chemin de fer à voie étroite qu'on l'appela le tacot, probablement parce qu'il cheminait lentement. Il était principalement tiré par des locomotives Péchot-Bourdon et Baldwin saddle tank. Ces dernières, plus puissantes, étaient mieux adaptées aux transports lourds en montagne.

Ce réseau, au départ de la gare de Fraize et via Plainfaing, desservait trois destinations :

Ces deux dernières directions ravitaillaient sur le front de l'est la Tête des Faux et vers le sud-est le Linge, l'Hilsenfirst et encore plus au sud le Vieil Armand ou Hartmannswillerkopf. Les gares intermédiaires et terminales étaient parfois complétées par un funiculaire (au Rudlin) et des téléphériques (au Valtin et depuis la Route des Crêtes).

« Dans leur ensemble, toutes ces réalisations sont entreprises et opérationnelles en 1915, ou au plus tard début 1916 » (Jean-Claude Fombaron, 2018, p. 59).

Jean Cordier nous donne les précisions suivantes (1920, p. 28) :

Dans les endroits par trop exposés à la vue de l'ennemi, les pionniers de la voie de 0m,60 ont construit des tunnels soigneusement couverts.

Du Rudlin au Gazon du Faing, un funiculaire remonte en droite ligne, à travers la forêt, les pentes à pic de la montagne, avec une différence d'altitude de 5oo mètres pour 2km environ. C'est dire que la pente est très forte.

Du Gazon du Faing, un câble aérien, (la Ficelle!) porte vivres et munitions jusqu'au Lentzwasen, en Alsace, par une descente aussi rapide. Un autre va jusqu'au Lac de Daren ; enfin un dernier part du Tanet et se rend non loin de Sultzeren. Tous ces petits trains remplacent avantageusement les chevaux, les mulets, les chiens de l'Alaska et les traîneaux.

Rien de plus original que de voir passer le petit tacot avec ses charges hétéroclites ! Derrière sa minuscule locomotive suivent quelques wagons où s'entassent des caisses de vivres, de cartouches, de grenades, des torpilles, de lourds obus, des tôles ondulées, des poutres, des planches, des balles de foin. Souvent, au-dessus d'un échafaudage savamment édifié, entre des caisses et des ballots, on aperçoit des groupes de permissionnaires munis du bidon et des musettes gonflées.

D'autres fois le petit train transporte en hâte des poilus. Ils vont à l'attaque, ils partent en renfort. « Pauvres hommes, dit-on en les voyant passer, ils vont à la boucherie!...»

Et le tacot file, file toujours en déroulant le long des routes, ses épaisses volutes de fumée blanche!...

Jean Cordier a oublié de parler du câble transporteur aérien qui partait de la gare terminus du Talet, au Valtin (lieu-dit Le Meix de la Croix), et grimpait au Gazon Martin...

Nous décrivons ci-dessous la géographie des trois destinations. Pour plus de détails, on pourra se reporter par exemple aux articles publiés par Jean‑Claude Fombaron et cités dans les sources plus bas.


Le tracé du réseau du tacot, au départ de la gare de Fraize, 
restitué d’après les plans d’époque.
La construction s'est étalée entre le second semestre 1915 
et le début 1916 ; le démontage a débuté dès 1919.

Destination gare des Roussels

Au départ de la gare de Fraize à l'altitude de 510 mètres, la ligne longe la RD 415 via Plainfaing et les Auvernelles jusqu'au Fer à Cheval à l'altitude de 670 mètres. Une branche s'en détache alors et plonge dans la vallée des Ponsez, au-dessus de Scarupt, et trouve, au nord-est de Fraize, son terminus à la gare des Roussels à l'altitude de 790 mètres (au Col de la Séboue).

Le tacot en gare de Fraize. Les maisons à l'arrière plans bordent la RD 415 
(aujourd'hui rue du Dr Durand) qui mène vers la droite à Plainfaing.
Le tacot (locomotive Péchot-Bourdon) en gare de Fraize. 
À l'extrème gauche, Le maire de Fraize, Dr Marius Durand.

Après la gare des Ponsez, percement de la voie en direction de la gare des Roussels.
Plan d'époque de la gare des Ponsez.
Plan d'époque de la gare des Roussels.
La gare des Ponsez opérationnelle.

Destination la Schlucht

Cette deuxième ligne emprunte le même tronçon que la précédente jusqu'au Fer à Cheval, puis suit vers l'est tous les lacets de la RD 415.

Le tacot sur le côté de la RN 415 au Col du Bonhomme
Le tacot à la gare du Col du Bonhomme sur la RD 415,venant du Louchpach et redescendant vers Fraize.

Peu avant d'atteindre le Col du Bonhomme, à l'altitude de 945 mètres, elle s'oriente résolument au sud sur l'ancien chemin du Luspach. Elle traverse les bois de la Vieille Charrière puis se joint à la toute nouvelle Route des Crêtes un peu avant le Col du Luspach. Elle reste toujours du bon côté (ouest) des crêtes pour échapper autant que possible à la vue et aux tirs de l'ennemi.

La gare du tacot du Rühlock.
Près de la ferme du Tanet, un convoi du service d’entretien de la voie,tiré par des « chiens d’Alaska » (octobre 1916).

Elle traverse alors ce Col du Louchpach à l'altitude de 980 mètres, continue vers le sud, quittant la Route des Crêtes pour se diriger vers la gare du Rühlock où elle effectue une boucle, et remonte vers le nord pour finalement rattraper la route des crêtes au col du calvaire et poursuivre son cheminement vers le Gazon du Faing puis le Gazon Martin et enfin, Le Tanet et La Schlucht où elle fait la jonction avec une autre ligne qui rallie le Honeck.

Au Honeck passe en partie sous tunnel, un téléphérique venant du lac de Retournemer, qui plonge vers une gare intermédiaire située au bord du lac de Shiessrothried (930m), avant de poursuivre sa course jusqu’à son terminus dans la vallée de la Wormsa, proche de Mittlach et Metzeral, à 570 mètres d’altitude.


Destination le Rudlin et le Valtin

Cette dernière ligne suit aussi le même tronçon de départ jusqu'au au centre de Plainfaing à l'altitude de 535 mètres. De là, elle bifurque au sud vers la vallée de Habeaurupt jusqu’au Rudlin où elle se scinde en deux tronçons, l’un rejoignant la gare de l’Ermitage située non loin de là, tandis que l’autre suit, en direction du sud-ouest, la vallée vers son terminus du Talet, au lieu-dit Le Meix de La Croix à l'entrée du Valtin, à l'altitude de 740 mètres.

Le tacot, passant devant l'hôtel du Rudlin,
au cours d’une inondation provoquée par une crue de la Meurthe 
(5 octobre 1916).
Le tacot à côté de la chapelle Saint-Jean-Baptiste au Rudlin, 
arrêté sur la voie en direction du Valtin. Derrière la chapelle, 
on aperçoit les croix d’un cimetière provisoire.

Au Rudlin, à la gare de l'Ermitage, se trouve le point de départ du Funiculaire à double voie de 60 qui rejoint, au Gazon du Faing, la Route des crêtes.

La gare de l’Ermitage au Rudlin.Sur le côté droit se trouvait le quai du tacot (visible ici), tandis que le quai situé de l’autre côté du bâtiment était celui du funiculaire.Partant de là, celui-ci rejoignait le Gazon du Faing en gravissant la montagne que l’on aperçoit sur la gauche, avec un dénivelé de 500 m sur une distance de 2 km.
La voie du funiculaire montant vers le Gazon du Faing. 
Le dénivelé est de 500 m pour une distance de 2 km.
Vue plongeante vers la gare de l'Ermitage, tout de suite après le virage à droite.
La gare de l'arrivée du funiculaire au Gazon du Faing. Au fond, la ferme qui est aujourd'hui l'Auberge du Gazon du Faing, au bord de la toute nouvelle route des crêtes.
Au Gazon du Faing, arrivée d'un train du funiculaire venant du Rudlin.

 

La gare terminus du Valtin, quant à elle, est complétée par un transporteur aérien (téléphérique). Celui-ci transportait jusqu'à sa station haute du Gazon Martin à l'altitude 1185 mètres, en moyenne 36 tonnes par jour. Son câble porteur mesurait 2560 mètres et était soutenu par 29 pylônes de bois ou métal. Il était prolongé par un second câble qui descendait jusqu'au lac de Soultzeren (lac Vert) à l'altitude de 1070 mètres, long de 890 mètres, et reposant sur 10 pylônes.


Gare du Valtin, départ d'une nacelle du téléphérique vers Gazon Martin (alt. 1185 m),
câble porteur de 2560 m soutenu par 29 pylônes de bois ou métal, dénivelé 450 m.
Le débit moyen en 1916 est de 36 tonnes par jour..
Gare du Tanet, au Valtin, vue plongeante sur l'ensemble de l'infrastructure.Au premier plan la Meurthe, qui coule vers la droite.
Gare du Valtin : chargement de caisses sur une plateforme qui sera poussée sur son rail suspendu jusqu'au hangard du téléphérique, oùelle sera accrochée au cable tracteur et s'« envolera » à destination du Gazon Martin.
Une autre plateforme chargée de deux fûts de rhum pour le réconfort des combattants.

Que reste-t-il de toutes ces infrastructures et du tacot ?

De nos jours, il reste peu de traces des voies et installations du tacot car elles ont rapidement été démantelées dès 1919.

À Fraize, on peut suivre par endroits le tracé de la voie qui menait du Fer à Cheval à la gare des Roussels, en passant par les Ponsez.

L'emplacement de la gare des Roussels (Col de la Séboue) de nos jours.

Du Col du Bonhomme vers le col du Louchpach, la gare du Rühlock, le Calvaire et la Schlucht, on peut suivre plus ou moins facilement le tracé du remblai de la voie. De la gare du funiculaire du Rudlin au Gazon du Faing, il reste une grande plate-forme, toujours délimitée par son mur de pierres (propriété privée). La voie qui montait un peu à gauche de la Cascade du Rudlin, bien que reboisée, a conservé quelques traces dont des blocs de béton et des amas de fils de fer barbelés. Attention, ça grimpe !

Le remblai du tacot tel qu'on peut le voir de nos jours au 
lieu-dit « Le Talet » proche du Valtin. 
Au fond, dans la brume, le Rudlin et le col du Luschbach.
Les fondations du télépherique telles qu'on peut les voir 
entre route et Meurthe à l'entrée du Valtin, 
au lieu-dit « Le Meix de la Croix »

Plus loin vers le Valtin, le long de la route, au lieu-dit Le Talet, on peut noter , le relief du remblai de l'ancienne voie qui traversait les prés en ligne droite et, à la gare terminus peu avant le village, au lieu-dit Le Meix de la Croix se trouvent encore les gros blocs de béton qui servaient d'ancrage au téléphérique grimpant au Gazon Martin.


Le panneau mémoriel mis en place par l'Association

Ici, description de l'inauguration

Le panneau mémoriel, réalisé par Philippe Pauly, apposé sur le lieu del'ancienne gare des Roussels par l'association La Costelle (recto).
Au verso du panneau mémoriel,reproduction du panneau initialement réalisé par notre ami Jacky Brultey.

Sources

Jacques (Jacky) Brultey  : merci pour le dossier prêté contenant certaines des photos ci-dessus.

Wikipédia : Les Chemins de fer stratégiques de campagne pendant la guerre de 1914-1918.

Jean Cordier : La Guerre de 1914-18 dans les montagnes de la Haute-Meurthe, 1920, Fraize, Imprimerie Fleurent, p. 28.

Victor Lalevée : Au Pays des Marcaires - Le Valtin - Le Grand-Valtin, 1950, Fraize, Imprimerie Fleurent.

Victor Lalevée : Histoire de Fraize et de la Haute-Vallée de la Meurthe, 1957 Fraize, René Fleurent, Éditeur.

Daniel Gœhry  : merci pour ses précieux renseignements, pour les plans des gares et pour plusieurs photos.

Jean-Claude Fombaron : Aménager et Ravitailler un Front de Montagne en Guerre : Autour de la Route des Crêtes des Vosges 1915-1916 in Rencontres Transvosgiennes n°8, 2018.

Jean-Claude Fombaron : Les transports militaires français par câbles dans les Vosges (1914-1919) in Mémoire des Vosges n°33, 2016.


La Costelle, Yves Bruant, mars 2019 & Philippe Pauly, avril 2025.