Quelle est donc cette énorme construction qui domine
tout le centre de Fraize de sa haute toiture d'ardoises ? C'est la maison Ribeaupierre,
du nom de ces comtes qui furent seigneurs du ban de Fraize durant 450 ans du
XIIIe au XVIIIe.
Où est-elle, on ne la voit plus dans Fraize ?
Elle se trouvait pourtant à l'angle des rues de l'Église et Victor Lalevée.
Ah ! mes amis, figurez-vous qu'elle a été démolie en 1976,
cette antique demeure, près de cinq fois centenaire et presque unique trace du passé seigneurial de notre ville.
Un brin d'histoire
Cette maison ne portait aucun millésime connu, mais des érudits en archéologie du bâti et en héraldisme
font remonter sa construction à la fin du XVe ou au début du XVIe siècle.
Elle aurait donc été construite pour le sire de Ribeaupierre Guillaume II (1468†1547)
qui partageait la seigneurie du ban de Fraize avec les familles de Parroye et Bayer de Boppard à Taintrux.
Elle possédait dans sa cuisine une antique et monumentale cheminée de style gothique aux armoiries des Ribeaupierre.
La maison qui a probablement été remaniée aux XVIIIe et début XXe siècles, était
très massive mais pas très haute de plafonds. Toutefois ceux-ci étaient à caissons et les murs était entièrement
couverts de lambris qui dissimulaient ici et là des placards. Plafonds et planchers étaient à double épaisseur,
séparées par une couche de terre et de chaux, ainsi qu'on put le découvrir lors de la démolition.
La maison voisine qui la jouxtait à droite (voir la photo ci-dessus) était
l'Hospice, fondé par Joseph Deloisy en 1867.
Elle fut rasée au début des années 1930.
Vendue à un particulier au moment de la cession de la seigneurie (1693), l'ancienne maison des Ribeaupierre
appartenait en 1791 à Dominique Deloisy. Restée durant plus d'un siècle propriété de sa famille,
elle appartenait, vers 1900, à Mlle Denise Deloisy,
riche héritière et bienfaitrice de Fraize qui y résidait. Décédée en 1924, elle légua la maison à la Commune,
qui la revendit, en 1932, pour la somme de 60.000 francs, au syndicat d'agriculteurs du canton
qui y installa une Coopérative Fromagère.
Pendant près de vingt ans, on y affina des fromages Munster qu'on allait chercher, frais, dans les fermes avoisinantes,
et qu'on revendait et expédiait ensuite dans toute la France. C'est monsieur Pfeiffer qui assurait le ramassage.
Maria, qu'il devait plus tard épouser, y faisait secrétariat et comptabilité.
On y vendait aussi des produits agricoles : grains et semences, engrais, pommes de terre...
Suite à des difficultés financières, en 1951, malgré le souhait clairement exprimé
par la municipalité de l'époque de racheter le bâtiment, les actionnaires à 54 voix contre 3,
ont décidé de céder tous leurs actifs à la Coopérative Agricole de Saint-Dié,
y compris la maison qui avait eu, en vingt ans, le temps de prendre le nom qui lui resta de Fromagère.
On cessa l'activité fromagère, mais y installa une annexe de la Coopérative Agricole, avec épicerie et quincaillerie agricole.
À cette occasion, une boutique avec
vitrines dans l'angle fut créée, la façade Est recrépie, comme le montre la photo ci-contre.
La gérante était Mme Maria Pfeiffer, appelée par beaucoup "Maria de la Fromagère".
En 1974, la Coopérative Agricole de Saint-Dié a mis en vente l'ancienne maison Deloisy.
Le Conseil Municipal proposa de la racheter pour 50.000 francs, mais l'accord ne se fit pas.
Malgré les protestations de nombreux habitants, les nouveaux acquéreurs la firent aussitôt démolir fin 1976,
dans le but de construire en lieu et place une supérette et son parking !
Roger Perrin, à l'époque finissant son mandat de maire, n'a pu que négocier, en guise de souvenir,
la récupération de quelques dalles et poutres et de l'antique cheminée.
Une porte ouvragée qui partait pour la déchéterie a aussi pu être récupérée et restaurée par Pierre Bonafos.
Cet ensemble a été par la suite installé dans le hall de l'hôtel de ville où on peut l'admirer.
La plaque (ou taque) de fonte qui protégeait autrefois le mur du fond de la cheminée avait
disparu pendant la dernière guerre ? Où est-elle ?
On l'a remplacée à la mairie, « O tempora, o mores », par la liste des Maire de la ville !
mais on en a tout de même une photo qui montre les armoiriées de Empereurs du Saint-Empire
Romain Germanique de début du XVIIe siècle.
Ce que disait de cette maison Georges Flayeux en 1901
la maison [...] fut assurément une sorte de manoir féodal.
Certaines pièces de ce logis rappellent les grandes salles des antiques châteaux ;
la toiture haute et élancée a la forme féodale ; et la cheminée de la cuisine est
bien la large et grande cheminée du vieux castel. Elle est du plus pur style gothique ;
deux niches ogivales forment les deux montants et on peut admirer sur le manteau, parfaitement sculptées et
conservées, les armoiries des Ribeaupierre.
Et il ajoute :
Sans doute a-t-elle reçu plus d'une fois leur visite.
Peut-être y ont-ils séjourné au moment des chasses qui les ramenaient chaque année de notre côté des Vosges,
mais ce sont les officiers seigneuriaux qui y résidaient habituellement. Les archives d’Épinal
ont conservé les noms de quelques-uns de ces officiers-receveurs, avec leurs comptes (en allemand).
Ainsi au XVIIesiècle Nicolas Villemin, Grégorius Thiéry, Jean Fattet...
Point de vue d'un fraxinien à propos de la cheminée
Plusieurs personnes, probablement au courant de la tentative que j’ai menée en 1951, en accord avec M. Gerll,
le maire de l’époque, pour essayer de récupérer la maison Deloisy, au profit de la Commune de Fraize, m’ont demandé
mon point de vue concernant, non plus la maison elle-même, mais le problème de la cheminée, cheminée qui présente
un intérêt historique certain. Je leur ai donné volontiers cet avis quelles sollicitaient : mais comme je sais
d’une part que ces idées ont été déformées et que d’autre part, cette question de la cheminée semble actuellement
évoluer d’une façon inattendue, je romps momentanément le silence de ma retraite et mets par écrit mon opinion,
d’une façon aussi claire et aussi nette que possible.
Je pense tout d’abord qu’il ne faut pas s’exalter outre-mesure lorsqu’on parle de l’ancienne maison
Denise Deloisy. Cette vieille demeure n’est pas un "monument historique". Seuls quelques éléments,
dont la cheminée, présentent un intérêt historique reconnu formellement par les spécialistes.
L’état dans lequel se trouve actuellement cette maison, ses dimensions énormes, le peu de terrain qui reste
derrière la propriété font qu’une nouvelle acquisition de ce domaine par la Commune, à un prix relativement élevé,
n’aurait pas été une affaire raisonnable pour Fraize et je comprends fort bien la position de la municipalité
qui n’a pas dans ces conditions, racheté cette propriété. Il existe, du reste, à Fraize, au moins une autre
propriété plus intéressante que la maison Deloisy pour y créer, par exemple, un jour, une maison de retraite
pour personnes âgées, mais ceci est un autre problème d’avenir.
A mon avis, une première et grave erreur a été commise lorsque la Commune de Fraize s’est dessaisie
de cette maison pour la vendre au profit d’une certaine catégorie de sa population, aussi digne d’intérêt soit-elle.
Je suis convaincu qu’on pouvait créer à Fraize une coopérative fromagère absolument valable sans la loger
dans cet énorme bâtiment, en plein cœur de la cité, bâtiment donné par Mlle Deloisy à toute une commune,
bâtiment difficile à entretenir, dont certains éléments étaient à retenir pour leur intérêt historique alors
qu’ils n’étaient d’aucune utilité pour le genre de commerce qu’on se proposait d’y installer. Par contre,
ce bâtiment pouvait être précieux pour la ville, à une certaine époque. Je n’allonqerai pas inutilement
cet article de presse en vous disant ce qui avait été envisagé en 1951 si, à l’époque, la Commune avait pu
récupérer cette propriété. Illusion perdue !
Une deuxième erreur a été commise, en effet, en 1951.
Le 19 mai 1951 a eu lieu une assemblée générale extraordinaire de la Coopérative Fromagère de la Haute-Meurthe.
A l'ordre du jour de cette assemblée, figurait la dissolution de la Coopérative et, par conséquent, la question
suivante : à qui allaient revenir cette demeure et les biens de la Coopérative en liquidation ?
Le maire de l’époque adressa alors aux responsables de la Coopérative une lettre datée du 17 mai 1951,
lettre dont voici le texte, dont je puis vous garantir l’authenticité... puisque c’est moi-même, premier adjoint
au maire à l'époque, qui l'ai rédigé :
Mairie de Fraize, le 17-5-1951,
M. le Président, M.M. les membres de la Société,
Apprenant que la dissolution de votre Coopérative Fromagère est envisagée, j'ai l'honneur de vous informer
qu'en cas de liquidation, la Commune de Fraize serait amateur de l'immeuble que la Société occupe rue de l’Eglise.
Je vous rappelle que cet immeuble a été cédé par la ville pour la somme de 60.000 F seulement (anciens francs) ;
que cette vente n'a pas eu lieu dans le but de faire une bonne opération, mais uniquement dans celui de rendre
service aux cultivateurs, la Municipalité de l'époque ayant d’ailleurs été très critiquée à cette occasion.
D'autre part, les anciens sociétaires doivent se le rappeler, il avait été convenu que cette maison devait
revenir à la Ville au cas où la société ne pourrait fonctionner et ce n’est qu’après discussion et pour faciliter
l'action de la société que cette réserve n’a pas figuré dans l’acte de vente.
J’ose donc espérer, aujourd'hui que la Municipalité en a un besoin urgent, que tous les sociétaires feront
leur possible pour tenir cet engagement tacite et permettre à la Ville de rentrer en possession de cet immeuble.
Dans l’attente de votre décision favorable, je vous prie d’agréer, M. l’expression de mes meilleurs sentiments.
Le Maire : D. Gerl.
L’étude des archives de la Coopérative Fromagère me prouve qu’une longue discussion a eu lieu à ce sujet,
mais, hélas ! les résultats du vote n’ont pas été en faveur de la Commune : nombre de votants 58,
bulletin blanc 1, suffrages exprimés 57.
Ont voté pour la dissolution de la Coopérative et la cession de tout son actif à la Coopérative Agricole de St-Dié.
Pour la cession 54, contre 3.
Le compte rendu de cette assemblée dit que M. HESTIN, directeur de la Coopérative Agricole de St-Dié,
remercie les sociétaires de la Coopérative Fromagère (En effet, il pouvait les remercier !) et qu’il accepte
la cession de ses biens (pourquoi pas ?).
En passant, merci à ces trois inconnus qui se sont souvenus de l’engagement tacite qui avait été pris lors de
la vente de l’immeuble Deloisy à un groupe de cultivateurs, engagement de restituer cet immeuble à la Commune
de Fraize si la Coopérative Fromagère venait à disparaître. Ces trois inconnus ont défendu la Ville de Fraize.
Cette chance que Fraize a eue, il y a 25 ans, de récupérer la propriété Deloisy a donc, hélas ! tourné court.
Nous arrivons, maintenant, à la situation présente.
La maison Deloisy étant vendue, pour être totalement détruite ou presque, une question se pose :
que va devenir la cheminée, le principal élément présentant un intérêt historique ? Il y a quelques mois,
M. Jean BONAFOS, un des administrateurs de la Coopérative d'approvisionnement de St-Dié, qui gère,
en particulier, le dépôt actuel de l’immeuble Deloisy, m'a demandé d’être un intermédiaire entre les cultivateurs,
particulièrement les anciens membres de la Coopérative Fromagère représentée par M. J. Bonafos et
la Municipalité. But de cette démarche, envisagée par M. Bonafos ? Voir les possibilités d’une cession
de la cheminée à la Commune de Fraize. J’ai accepté et obtenu de M. PERRIN, maire, une entrevue, en présence
de M. DELON, actuel adjoint, intéressé, lui aussi, par cette question. Résultat de cette entrevue :
à peine commencée, ma mission était pratiquement inutile puisque M. PERRIN m'a affirmé que l’affaire
de la cheminée était réglée : le maire a en mains l'avis écrit des acquéreurs du bâtiment que la
Commune de Fraize peut récupérer la cheminée. Cet engagement écrit a été confirmé oralement par deux
communications téléphoniques, faites en ma présence à deux responsables : d’une part les acquéreurs
de la propriété Deloisy, d’autre part un responsable des vendeurs, Coopérative Agricole de St-Dié.
J'ai rendu compte à M. BONAFOS des résultats de cette entrevue. En conclusion : on peut donc
se demander si la cession de la cheminée de l'immeuble Deloisy en faveur de la Commune de Fraize aura
effectivement lieu. Je n’ai aucune qualité de technicien, mais si l’on me démontre que :
la cheminée est pratiquement et techniquement irrécupérable,
sa récupération risque d'être dangereuse ou trop coûteuse,
son intérêt décoratif n'est pas sûr, si elle est replacée ailleurs,
dans le vestibule de la mairie, par exemple,
alors je m’incline. Par contre, bien que non technicien, je suis convaincu de la beauté de cette cheminée
et je pense que ce serait la troisième et dernière erreur à commettre ou a laisser commettre que de
l’anéantir ou de l'abandonner à un particulier, aussi sympathique soit-il.
C'est pourquoi, en conclusion, je demande cordialement :
À la Municipalité présente de ne pas se "laver les mains" de cette affaire et de ne pas terminer
son mandat sans faire, et rapidement, tout ce qu’elle peut pour réaliser la récupération de cette cheminée,
si elle est possible.
Aux cultivateurs de ce pays, anciens membres de la Coopérative Fromagère en particulier, de faire
preuve de bon sens et de cœur, qualités dont ils font preuve si souvent, et, pour certains, de ne pas
céder à un quelconque esprit de revanche. La vieille et belle cheminée de la maison Deloisy doit rester,
à mon avis, au cœur de la cité, au profit de tous, et, en aucun cas, elle ne doit être l’enjeu de certains
désaccords. Lourde serait la responsabilité morale de ceux qui ne voudraient pas, dans cette affaire,
surmonter leur rancœur.
Enfin, je me permets de demander aux personnes qui pourraient me documenter au sujet de la taque,
aujourd'hui disparue, de la cheminée en question, taque que je recherche, de bien vouloir le faire dans
les meilleurs délais. D’avance, je les remercie pour leur collaboration.
Ayant ainsi, je pense, précisé ma pensée et ma position au sujet de la propriété D. Deloisy -
Coopérative Fromagère, je tiens à faire savoir que je n’engagerai pas une longue polémique à ce sujet.
Je pense que, de nos jours, des questions plus importantes se posent et se poseront : la vieille demeure
en question disparaîtra, mais la vie et ses nombreux problèmes quotidiens continuent : de quoi nous occuper
tous sans nous heurter inutilement sur des problèmes, en définitive secondaires.
WEBER Jean.
Ancien Directeur du C. E. G., futur maire de Fraize de mars 1977 à mars 1983.
Les Annonces des Hautes-Vosges n°767 du 19 septembre 1976.
L'Est Républicain parle de la démolition
Saint-Dié. — Actuellement et depuis quelques jours, d’importants travaux de démolition sont en cours pour faire
disparaître l’ancien immeuble Deloisy, qui abritait « La Coopérative Fromagère », devenue
« La Coopérative Agricole », qui se trouve à l’angle de la rue de l’Eglise et de la rue Victor Lalevée.
C’est l’entreprise Delot, d’Anould qui s’est adjugée les travaux de démolition de cet imposant immeuble et ceux
de la construction dans les mois à venir d’un magasin d’alimentation de la Chaîne Timÿ.
Chaque jour, pour les Fraxiniens, c’est un peu du passé qui est rayé du paysage. Cette construction séculaire
était en fait encore bien solide. Cependant, toutes les mesures de sécurité ont été prises par l'entrepreneur
pour mener à bien cette tâche.
Les érudits locaux qui se sont penchés sur l’histoire de notre petite patrie et notamment le regretté écrivain
et historiographe Victor Lalevèe, faisaient remonter la construction de cette vieille bâtisse à une date antérieure
à 1693, donc au XVIIe siècle. Selon la façon dont celle-ci fut réalisée, les démolisseurs confirment
bien l’ancienneté de cette demeure historique, qui pourrait même remonter à la fin du XVe - début du
XVIe siècle.
Jusqu’ici, cette vieille bâtisse qui aurait pu servir de cadre à un musée historique local, avait fait parler
d’elle parce qu’elle abritait l’antique cheminée des Seigneurs de Ribeaupierre, une cheminée monumentale,
de style gothique, dont on admire le blason s’ornant de trois petits écus.
On a découvert ces jours-ci, en même temps que les démolisseurs, que cette cheminée faisait partie intégrante
de cette construction, et qu’en aucun cas, elle n’a pu être rapportée pat la suite dans cet immeuble.
Il va sans dire que la démolition de cette pièce historique va demander beaucoup de patience à l’entreprise
Delot, qui va devoir ensuite la reconstituer comme un puzzle à l’hôtel de ville de Fraize (sans doute au
rez-de-chaussée où les visiteurs de passage pourront l’admirer à souhait).
La cheminée en question faisant partie intégrante de cette demeure, prouve bien que la bâtisse fut un ancien
manoir des Seigneurs de Ribeaupierre qui aimaient venir chasser dans nos forêts giboyeuses.
Au cours de cette démolition, deux autres petites cheminées du même style ont été découvertes et récupérées,
ainsi que des ferrures anciennes. Il va sans dire que ces travaux sont très suivis chaque jour, aussi bien par
les badauds, que par les érudits locaux et membres de la municipalité.
A noter que la charpente de ce manoir avait été taillée à la hache dans du bois de sapin et que les chevilles
étaient en bois de chêne. Sa haute toiture d’ardoises qui rappelait les manoirs féodaux était en essis de bardeaux.
A l’époque de cette construction, le bois n’avait pas la valeur actuelle, c’est ce qui explique les doubles plafonds,
les doubles planchers. Entre chacun d’eux, existait une couche de terre et de chaux, qui devait jouer un rôle de
pare-feu, en cas d’incendie.
Ajoutons que l’une des petites cheminées retrouvées par les démolisseurs risque d’aller garnir le salon de
l’hôtel de ville, ceci pour le plus grand plaisir des amoureux d’histoire locale.
Quand sera tombée la dernière pierre de cette antique demeure, Fraize aura tourné une nouvelle page de son histoire.
Est Républicain, 27 novembre 1976.
Circulez, il n'y a plus rien à voir
CIRCULEZ ! IL N’Y A PLUS RIEN A VOIR !
Paris, le 5 novembre 1982.
Était-elle si lépreuse, cette ancienne école *, l’avait-on laissée suffisamment se dégrader, fallait-il qu’elle
ne compte pas et qu'on en soit honteux pour la faire disparaître ainsi !
À Fraize, il y avait donc cette vieille école, il y avait aussi cette grande et belle maison qu’on
appelait « La Fromagère », il reste encore quelques belles demeures, dans la rue de l’Église,
dans la rue de La Costelle. Des bâtisses simples et humbles, lourdes et solides, faites pour durer des siècles
encore, pourvu qu’on les aime.
Mais il en est des municipalités comme des individus. Ici l’on entretient son environnement et respecte
les traces du passé, on s'en juge responsable, afin de les transmettre. Là, on détruit et dilapide, on se moque...
On tolère des pseudo architectures de super-marchés qui auraient pu s’installer dix mètres plus loin.
Deux belles maisons ont été sacrifiées par des Maires, anciens enseignants, ceux-là mêmes qui nous parlaient
de culture, de patrimoine et de respect **.
La question qui se pose est de savoir combien de Conseils municipaux devront se succéder pour venir à
bout des quelques intéressants témoignages que compte encore notre ville. Quelle sera la prochaine victime ?
Doit-on faire classer et protéger certaines de ces maisons pour être certain de les conserver ?
ou alors doit-on dès maintenant chercher dans les villes et les villages des alentours les traces de notre passé,
puisque, chez nous, il n’y aura plus rien à voir ?
Jacky COLIN, architecte d’intérieur DPE, professeur à l’École Nationale Supérieure des
Arts Décoratifs. Les Annonces des Hautes-Vosges n° de novembre 1982.
* Note de La Costelle : Jacky COLIN fait référence au bâtiment d'école Primaire et Primaire Supérieurs de la rue des Aulnes
rasé en 1982.
** Pour ce qui concerne ces deux démolitions, il ne faudrait pas prétexter du coût excessif des
travaux de restauration, ce qui reviendrait à dire que tous les propriétaires de vieilles maisons sont très riches.
Et les destructions continuent !
Quelques années plus tard (en 1984, Jean VINCENT maire), toujours faute de perspective patrimoniale,
le Grand Hôtel de la rue de la Gare
(rue du Général Ingold) fut démoli et remplacé encore une fois par une supérette et son parking !
À noter toutefois que la maison Masson-Wald
de la rue de l'Église, léguée à la municipalité en 1990, a pu être sauvée des démolisseurs.
Elle accueille actuellement la Halte Garderie et la Bibliothèque de la ville.
Ses caves voûtées ont été aménagées en local d'exposition. Quand à son parc d'un demi hectare,
il est maintenant occupé par le Verger Patrimonial
géré par l'association La Costelle.
Compléments historiques...
La famille de Ribeaupierre, Rappolstein en alsacien, a vécu en Alsace à Ribeauvillé, où ils posssédaient les
trois châteaux dont les ruines sont encore visitables (belle ballade à pieds), jusqu'à la disparition du
comte Jean-Jacques de Ribeaupierre mort sans postérité masculine en 1673.
Le ban de Fraize possédait dans le passé d'autres maisons seigneuriales dont celle qui était et est encore
appelée "La Cour", située à Clairegoutte, au carrefour de la rue Eugène Mathis et du chemin de Ribeaupierre (sic).
Elle hébergeait plus ou moins les mêmes activités que la maison Ribeaupierre, mais en référence à l'autre lignée
de seigneurs lorrains centrés sur Taintrux : les de Parroye, Bayer de Boppart, Créhange, Cogney, Régnier, Clinchamp.
Les Bazelaire de Lesseux sont aujourd'hui les héritiers de cette lignée.
Nos historiens parlent aussi du château de Piérosel (à l'emplacement de la maison actuelle appelée Château Sauvage),
et encore d'un autre au débouché du Chemin des Dames sur la route de Saint-Dié à Colmar. Chemin des Dames ?
Des Dames du Château ? qui nous le dira ? Mais ils ne sont pas très diserts à propos de cette maison
"La Cour" portant, sur le linteau de la porte d'entrée du pignon Est, le millésime de 1576, le plus ancien qu'on trouve
à Fraize (Victor Lalevée, op. cit.). Des recherches récentes ont permi de découvrir que l'administrateur des
Bayer de Boppard qui a fait (re)construire cette maison était un certain Pierre Thierry et que les deux lignes de
l'inscription complète sur le linteau sont DEUS ADJUTOR MEUS qui signifie "Dieu est mon assistant"
et H JEANOEL 1576, peut-être le maître d'œuvre et la date de construction.
Rappelons que le ban de Fraize avait été partagé au XIe entre le Chapitre de Saint-Dié
et les ducs de Lorraine. En 1221, le duc Mathieu II fit don de sa part à Anselme de Ribeaupierre et
Simon de Parroye ; consultez la suite de
l'histoire des Seigneurs du ban de Fraize.
Et les gens de Fraize, qu'avaient-ils me demanderez-vous ?
Et bien rien, ou presque rien, en tout cas certainement pas les bonnes terres ni les bons finages.
Ils devaient donc payer des loyers aux propriétaires, les dîmes aux Chanoines
et au curé du village, les tailles au duc de Lorraine, les banalités aux seigneurs locaux et à tous les frais de justice,
sans parler des corvées, décidées par les uns ou les
autres de ces propriétaire (charroi de pierres, construction ou réfections de ponts et chaussées...).
où était-elle ?
Yves Bruant, 2019, pour le site de La Costelle.
Je veux compléter / corriger cette page par courriel